L’épineuse question de l’adaptation d’œuvres littéraires au cinéma

Publiée le 4 septembre 2024
L’épineuse question de l’adaptation d’œuvres littéraires au cinéma

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Depuis quelques années, le cinéma français connaît un engouement particulier pour les films adaptant des  de la littérature. Les scénarios créés pour ces derniers sont d’une qualité variable, mais ils posent une question très importante : qu’est-ce qu’une bonne adaptation cinématographique ? 

Il y a quelques semaines est sorti dans nos salles Le Comte de Monte-Cristo, la 14ème adaptation filmique de l’œuvre d’Alexandre Dumas depuis le début du XXème siècle. Avant Pierre Niney, d’autres acteurs ont incarné le rôle d’Edmond Dantès avec brio, comme Léon Mathot en 1918, dans une adaptation en 8 épisodes. La version de Jean Marais, réputée pour sa fidélité au roman, atteint les 8 millions d’entrées lors de sa sortie. Le film est même passé par Hollywood, avec Jim Caviezel pour interpréter le comte. Ces adaptations ont le point commun d’être globalement à l’image de l’œuvre originale et elles ont toutes connu le succès. La dernière en date est peut-être celle qui prend le plus de libertés artistiques, en risquant de faire plusieurs changements concernant le personnage d’Angèle, en supprimant de Noirtier et la famille d’Epinay. L’objectif était de faire tenir l’histoire en trois heures de film, d’où ces choix scénaristiques très bien pensés. 

Julie Anselmini, enseignante-chercheuse à l’Université de Caen et spécialiste de l’oeuvre d’Alexandre Dumas précise : “Il est toujours difficile de savoir ce qu’est une bonne adaptation, les dernières de Dumas [Les Trois Mousquetaires, Le Comte de Monte-Cristo] prouvent cette ambiguïté, le premier a moins bien marché que le dernier alors que c’est la même recette”. En effet, les réalisateurs sont les mêmes, mais le succès est plus retentissant pour le Comte que pour d’Artagnan. Les deux films cumulent tout de même à eux seuls un peu plus de 5 millions d’entrées. 

Le cas Eragon

Eragon : pour ceux qui l’auraient oublié, le roman a eu droit à une adaptation cinématographique en 2006, par Stefan Fangmeier. Le film devait suivre le roman et avoir plusieurs suites, un projet qui sera avorté après la diffusion du premier film. Pourquoi ? Déjà, parce que le film n’a pas rencontré (ou retrouvé) son public dans les salles, n’ayant atteint que les 3/4 de son budget (75 millions de dollars récupérés sur 100 millions investis) et surtout pour les trop grandes libertés prises par rapport aux livres de Christopher Paolini. Entre suppression de personnages, raccourcis scénaristiques et oublis majeurs empêchant la production d’une suite, Eragon s’est saboté tout seul en même temps qu’il a anéanti la carrière de certains acteurs, comme Edward Speleers, le détenteur du rôle éponyme. 

Le film pourrait servir de cas d’école car manifestement, le réalisateur ne connaissait pas l’œuvre d’origine et a commis des erreurs empêchant la poursuite du projet, notamment le retrait des Nains, cruciaux dans la suite du roman. Ce que nous montre ce raté, c’est que le film aurait dû prendre le temps de suivre les points importants du livre, comme Peter Jackson avec Le Seigneur des Anneaux, en retirant les parties jugées anecdotiques pour faire tenir la narration dans les trois opus qui lui ont été donnés. Il aurait pu au moins s’attirer la faveur des fans et s’assurer ainsi une base de visionnages solide, puisque le livre a été un immense succès lorsqu’il est sorti. 

Le contre-exemple 

A l’inverse de cela, il y a Shining. Pour ceux qui ont vu le film sans lire le livre, ils pourraient penser que c’est une œuvre tout à fait originale. Et pourtant, c’est un roman de Stephen King qui a servi de fondation à l’œuvre cinématographique. A sa sortie, le film a reçu un accueil mitigé, l’actrice Shelley Duvall et le réalisateur Stanley Kubrick ont été nommés aux Razzie Awards pour les catégories de la Pire actrice et du Pire réalisateur. Le succès ne viendra que plus tard, tant et si bien que le film est devenu un classique du cinéma d’horreur. Jack Torrance figure parmi les meilleurs “méchants” de l’histoire du cinéma, et le film est classé à la 29ème place des 100 meilleurs thrillers du cinéma américain. Pourtant, le film est un bel exemple d’adaptation très libre d’œuvre littéraire. Stephen King reproche à Stanley Kubrick la disparition de thèmes importants (par exemple, l’alcoolisme de Jack Torrance et sa transformation en père horrible à cause de l’abus d’alcool), à tel point que l’auteur prendra les commandes d’une nouvelle adaptation en un téléfilm de trois parties, pour rester fidèle à son histoire. Il refusera aussi que son nom apparaisse dans le générique du film, considérant ce dernier totalement détaché de l’ouvrage original. Alors, comment la popularité du film peut-elle s’expliquer ? Peut-être par l’interprétation magistrale de Jack Nicholson, qui rend à merveille la folie du personnage sur le grand écran, ou encore la vision géniale de Kubrick, qui tire des mots du livre une imagerie sublime et de très belles musiques.  

La question de l’adaptation cinématographique d’une œuvre littéraire est très complexe, notamment parce qu’elle ne dispose pas de cas types permettant de déterminer une sorte de norme analytique. Il est impossible de savoir ce qu’est une bonne adaptation, si elle doit coller le livre de la plus proche des manières, ou bien s’en détacher. Certains prennent la voie de l’entre-deux, comme les dernières adaptations des œuvres de Dumas, tandis que d’autres sortent du chemin tracé par le livre et créent quelque chose d’unique. Mettre des mots en images n’est pas chose facile, de même que traduire des pensées de personnages. Certains s’y cassent les dents, comme Stefan Fangmeier avec Eragon, œuvre dont on attend encore une adaptation digne de ce nom. 

Théo Tourneur 

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