Piranèse, l’homme face à lui-même

Publiée le 15 juillet 2024
Piranèse, l’homme face à lui-même

Affiche du film de Paola Cortellesi, Il reste encore demain. © TOBIS Film GmbH

 

 

 

l’ESIS présente Susanna Clarke auteure britannique, en 2021, elle remporte le Women’s Prize for Fiction pour son roman fantastique, Piranèse. Ce livre conte l’histoire de Piranèse, un des deux seuls êtres vivants à habiter le Palais, une bâtisse infinie remplie de statues gigantesques. Le lecteur est plongé dans un récit onirique dans lequel la frontière entre le réel et l’imaginaire frise la folie. 

 

Un immense palais, des pièces qui se comptent par centaines, des marées : voici ce qui rythme la vie de Piranèse. Reclus dans sa demeure, cet homme s’est donné pour mission de noter toutes les spécificités du Palais. Ce bâtiment aux limites inconnues apparaît pour lui comme une divinité protectrice qui veille sur ceux qui l’habitent. Dans ce récit, retrouvez Piranèse et l’Autre. Tous deux mènent des recherches sur cette cité isolée. Le premier veut transcrire la beauté du lieu, tandis que le second cherche à dévoiler son secret. La possible existence d’une troisième personne chamboule le quotidien des deux hommes. La vie de Piranèse bascule avec sa perception du monde qu’il chérit tant.

 

Piranèse est le journal de bord du personnage éponyme. Le roman commence par la description méticuleuse de l’univers englouti où il demeure. Ce passage peut paraître long, mais ce n’est que l’entrée d’une narration labyrinthique qui captive un peu plus à chaque page. Si tout semble extrêmement concret, notamment à travers les descriptions de Piranèse, une atmosphère fantastique plane sur le Palais et ses habitants. Très vite, les questions se bousculent à propos de ce lieu submergé par les vagues.

 

Le roman joue avec la règle principale du genre fantastique : la frontière entre le réel et l’imaginaire. Cela est décuplé par la narration à la première personne. Tout est perçu du point de vue de Piranèse. Le familier et l’étranger sont constamment remis en question. Cela commence par l’orthographe des mots eux-mêmes. Plusieurs mots sont écrits en capitales en plein milieu de phrases et certains perdent leur sens au sein du Palais. Les éléments connus par Piranèse – la mer, les statues, les portes – sont aussi admis par celui qui habite le monde « réel ». Mais comment expliquer que Piranèse sache ce qu’est un jardin, alors qu’il n’y a aucune végétation dans le Palais ? Ce sont ces détails qui donnent certaines clefs sur la perception de Piranèse et qui rendent la lecture prenante. 

 

Si le roman est écrit du point de vue de Piranèse, il y a un second personnage qui représente un réel mystère : l’Autre. Le second – et seul ? – autre habitant du Palais diffère de Piranèse par bien des aspects. Cet homme est la seule personne avec qui le protagoniste principal peut échanger. Il est littéralement « l’autre », c’est-à-dire l’individu qui nous fait prendre conscience de notre individualité. Ce personnage questionne le rapport entre une personne et le reste de l’humanité. Il permet d’aborder des thèmes comme la dépendance ou le syndrome de Stockholm. 

 

Le Palais est l’élément qui lie les personnages entre eux. Il est possible de le voir comme une allégorie de la mémoire : la mémoire d’un monde révolu mais surtout celle de Piranèse. Celle-ci est l’un des enjeux centraux du roman. Le monde le plus riche du livre est sans doute celui présent dans l’esprit du jeune homme. Ses paroles, ses pensées et son amour pour la beauté donnent vie à la bâtisse. Il brise le silence et l’afflux des marées. Piranèse fait remonter à la surface une des peurs principales de notre société contemporaine : l’oubli. Le thème de la mémoire permet d’aborder les grandes questions d’identité et de santé mentale. Quoi de pertinent que la mémoire pour remettre en cause l’identité d’une personne ? 

La force de ce livre est de plonger dans les racines du fantastique. Piranèse n’est pas une réécriture de la mythologie grecque, malgré ce que suggère le titre. C’est un roman empreint du souvenir d’un ancien monde représenté par les statues de style grec, ainsi que les rituels et croyances antiques. L’auteure a imaginé un autre univers à la fois bienveillant et dangereux, comme un dieu antique. Le Palais est un espace liminal, un lieu entre notre monde et un monde oublié. Les souvenirs sont la clé de cette intrigue.

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